- LEPTOSPIROSES
- LEPTOSPIROSESLes leptospiroses sont des infections polymorphes qui affectent diverses espèces animales et peuvent être transmises accidentellement à l’homme. Elles sont dues aux leptospires, micro-organismes de la famille des Spirochaetaceae . Les trois genres Leptospira , Treponema et Borrelia qui composent l’ordre des Spirochétales ont pour caractéristiques essentielles leur disposition hélicoïdale, leur flexibilité et leur mobilité assurées grâce à un appareil locomoteur interne. La distinction entre ces trois genres est basée sur des éléments anatomiques, physiologiques et immunologiques. L’étude pathologique des leptospires a fait d’énormes progrès, car on est parvenu à identifier plusieurs variétés responsables d’affections diverses.Découverte des différentes variétés de LeptospiraBien avant l’ère bactériologique, certaines leptospiroses avaient été individualisées sur le plan clinique: ainsi, durant la campagne d’Égypte, Larrey avait observé la maladie connue maintenant sous le nom de leptospirose ictéro-hémorragique. Celle-ci fut ensuite décrite, en France, par Mathieu sous le terme d’ictère infectieux à rechute et, en Allemagne, par Weil qui insista sur son origine infectieuse, d’où son autre appellation de maladie de Mathieu et Weil . C’est en 1914, au Japon, que R. Inada et Y. Ido, après inoculation du sang d’un malade à un cobaye, isolèrent, dans le foie de ce dernier, Leptospira ictero-hemorragiae , espèce type du genre Leptospira . En 1915, le même leptospire est retrouvé par Miyajima chez des rats, qui sont alors considérés comme les réservoirs des germes infectieux.En 1925, L. bataviae est isolé par Walch en Indonésie; en 1928, L. grippo-typhosa est découvert par F. Tarassof chez les travailleurs des régions marécageuses près de Moscou; en 1931, A. Klarenbeek décèle L. canicola chez le chien; en 1946, O. Gsell isole L. pomona chez des porchers en Suisse. D’autres espèces sont découvertes par la suite: L. mitis , L. sejroe , L. hebdomadis , etc., agents de leptospiroses dites «mineures», par opposition à la leptospirose majeure, la plus grave, c’est-à-dire la leptospirose ictéro-hémorragique.Les connaissances au sujet des leptospiroses ainsi que les conceptions théoriques les concernant ont considérablement varié. Dans un premier temps, on considéra que chaque leptospire avait un réservoir unique (rat, chien, porc, bœuf), assurant la conservation de la maladie et sa transmission à l’homme. Actuellement, le problème apparaît comme beaucoup plus complexe: d’une part, les espèces animales porteuses de leptospires se révèlent de plus en plus nombreuses; et, d’autre part, chaque espèce animale peut, comme l’homme, être atteinte par plusieurs variétés de leptospires. Il n’est donc plus question d’autonomiser une leptospirose murine, canine ou bovine.La maladie humaineQuel que soit le leptospire en cause, la leptospirose associe à des degrés variables les manifestations suivantes: un syndrome fébrile correspondant au stade septicémique de la maladie; durant quatre à sept jours en moyenne, des douleurs musculaires (myalgies) ou articulaires (arthralgie); un syndrome méningé d’intensité variable; une réaction conjonctivale; une atteinte rénale constante avec diminution de la quantité des urines (oligurie), qui renferment de l’albumine (albuminurie), des cylindres d’origine rénale (cylindrurie) et du sang (hématurie); une rougeur de la peau (exanthème) survient à la fin du cycle fébrile et disparaît en trois ou quatre jours. À ces signes fondamentaux peuvent s’ajouter: une hépatonéphrite, beaucoup plus fréquente dans la leptospirose ictéro-hémorragique que dans les formes dites mineures; un syndrome hémorragique, assez rare en Europe mais répandu en Extrême-Orient; une atteinte respiratoire, surtout dans le cas de L . grippo-typhosa .L’aspect le plus typique et le plus sévère est réalisé par la leptospirose ictéro-hémorragique: après un début brutal avec fièvre, myalgies et syndrome méningé, l’ictère apparaît, qui dure une dizaine de jours et dont la manifestation coïncide avec une baisse de la température. Les signes rénaux s’accentuent et le taux d’azote dans le sang (azotémie) s’élève. Ces signes régressent rapidement; puis, vers le quinzième jour, survient une rechute fébrile plus courte que l’épisode initial. À côté de cette forme schématique où domine l’hépatonéphrite, il existe des formes monosymptomatiques: rénales pures, méningées pures, fébriles pures, de diagnostic difficile.La plupart des autres leptospiroses réalisent des aspects cliniques moins graves; certaines sont toujours anictériques, telle la leptospirose à L . pomona , où domine le syndrome méningé.Principaux caractères des leptospiresMorphologieLes leptospires se présentent comme de petits filaments de 10 à 20 micromètres de longueur, de 0,1 micromètre environ de diamètre, formés de spires nombreuses et terminés en crochets à leurs extrémités (cf. photographie). Ils sont très mobiles et très souples. En les examinant vivants à l’aide d’un microscope à fond noir, on les voit se déplacer par un triple mouvement: en vrille, par flexion et par détente comme un ressort.Les leptospires ne sont pas colorables par les méthodes bactériologiques usuelles; il faut utiliser la coloration de Giemsa ou la technique d’imprégnation argentique. Leur examen à l’aide du microscope électronique montre leur structure très particulière: le corps cellulaire est enroulé en hélice autour d’un filament axial inséré à chaque extrémité du corps cellulaire. Une enveloppe fragile engaine l’ensemble.CultureLes leptospires ne peuvent pas être cultivés sur les milieux utilisés en bactériologie courante [cf. BACTÉRIOLOGIE]; ils exigent un facteur de croissance présent dans le sang ou le sérum; on les cultive habituellement dans le milieu de Reiter et Ramme (sérum de lapin, eau physiologique, huile de vaseline), qu’il convient d’ensemencer largement et d’incuber à l’obscurité entre 28 0C et 32 0C ou dans le milieu d’Ellighausen, sans sérum de lapin, mais avec la fraction V de sérum de bovins.Les leptospires se développent lentement; leur nombre atteint son maximum vers le dixième jour.Pouvoir pathogène expérimentalLe cobaye est l’animal de laboratoire le plus sensible; cependant, toutes les espèces de leptospires ne sont pas également pathogènes pour lui (cf. tableau). L’injection au cobaye de L . ictero-hemorragiae entraîne l’hyperthermie, puis un ictère bien visible à la conjonctive. L’animal meurt six à douze jours après l’inoculation. À l’autopsie, l’ictère et les hémorragies sont manifestes; les leptospires sont particulièrement abondants dans le foie.Structure antigéniqueIl existe dans le filament axial un antigène H, protéique, dans la paroi un antigène O, polyosidique, et dans l’enveloppe un antigène de surface, de nature inconnue. Cette structure antigénique est d’un très grand intérêt, car il est très difficile de distinguer entre elles les diverses variétés de leptospires à partir de leurs traits spécifiques, morphologiques ou culturaux, d’autant que la recherche de leur pouvoir pathogène, par inoculation aux animaux de laboratoire, ne donne tout au plus qu’une orientation. Seules les réactions d’agglutination permettent de distinguer les différents leptospires.Diagnostic de la leptospirose chez l’hommeLes leptospires peuvent être recherchés dans le sang, dans les urines et dans le liquide céphalo-rachidien des malades, à certaines dates de la maladie: dans la leptospirose ictéro-hémorragique, ils sont présents dans le sang du premier au sixième jour, et dans les urines du dixième au vingt-cinquième jour. Cette recherche sera effectuée à la fois par inoculation au cobaye et par ensemencement en milieu de Reiter afin de ne pas méconnaître une variété de leptospire non pathogène pour le cobaye.Le diagnostic sérologique se fait en deux étapes: diagnostic de dépistage, par réaction d’agglutination macroscopique sur lame, réaction de fixation du complément, réaction d’hémagglution, etc., puis diagnostic de confirmation par le séro-diagnostic de Martin et Pettit qui met en évidence les agglutinines spécifiques apparues à partir du huitième jour. Elles peuvent atteindre des titres très élevés (jusqu’à 1/1 000 000) et persistent plusieurs semaines.ÉpidémiologieLeptospirose majeureL’homme se contamine, directement ou indirectement, à partir des animaux infectés. Dans le cas de la leptospirose ictéro-hémorragique, c’est essentiellement le rat qui héberge et dissémine les leptospires (cf. tableau). Le rat fait, en effet, une infection inapparente et élimine pendant des mois les leptospires dans ses urines. La maladie se transmet à l’homme principalement selon deux modes: par voie digestive (absorption d’aliments souillés par les urines de rats infectés) et par le milieu extérieur (terre humide, vase, boue et surtout eau). Bien que les leptospires soient fragiles et très sensibles à la chaleur et à l’acidité, ils peuvent survivre dans le milieu extérieur lorsque certaines conditions de chaleur, de pH et de pénombre se trouvent réalisées. La nature du sol joue donc un très grand rôle dans la conservation des leptospires: ils sont capables de survivre plusieurs semaines, en saison chaude, dans les eaux de rivière légèrement alcalines et ombragées. Cela explique que plus de la moitié des cas de leptospirose ictéro-hémorragique soient contractés après un bain de rivière, les leptospires pénétrant chez les nageurs par voie muqueuse (conjonctive, bouche, rhino-pharynx). Et chez les pêcheurs, les contaminations sur les berges ne sont pas exceptionnelles.Dans 30 à 40 p. 100 des cas, la maladie revêt un caractère professionnel touchant des travailleurs en relations directes ou indirectes avec les rats: égoutiers et électriciens, plombiers, maçons... travaillant dans les égouts, employés des abattoirs et des halles, bouchers, tripiers, chiffonniers, travailleurs de chantier naval, mineurs.Le caractère saisonnier de la leptospirose ictéro-hémorragique est très net: la morbidité maximale survient en août et septembre, époque à laquelle les eaux stagnantes et les eaux usées offrent les meilleures conditions (température, pH, etc.) pour la survie des leptospires.Leptospiroses mineuresDans les leptospiroses mineures, l’épidémiologie s’apparente à celle de la leptospirose ictéro-hémorragique, mais les réservoirs de leptospires sont différents (cf. tableau). La leptospirose à grippo-typhosa est transmise par les campagnols (Microtus arvalis ), rongeurs qui sont à l’origine de la contamination des baigneurs et de certains travailleurs ruraux. La leptospirose à pomona («maladie des porchers») est une maladie essentiellement professionnelle, transmise surtout par voie cutanée à la faveur d’une excoriation souillée par contact direct avec les porcs ou avec leur litière imprégnée d’urine. Si le porc fait une infection inapparente à L . pomona , nombre d’autres espèces (bovins, ovins, rongeurs...) peuvent être atteintes également.La leptospirose canicolaire , signalée au Danemark, en Allemagne, en France et aux États-Unis, est en relation avec une maladie du chien. Les mâles, beaucoup plus fréquemment atteints que les femelles, s’infectent par voie cutanéo-muqueuse à partir de l’urine fraîchement émise par un autre chien. Après guérison, ces animaux portent pendant plusieurs mois des leptospires dans leurs urines. L’homme est infecté directement, soit en soignant un chien malade, soit surtout en jouant avec un chien porteur de leptospires. La transmission indirecte par l’eau polluée par les urines est possible.La leptospirose bataviaire , banale dans les rizières d’Indonésie et importée en Italie en 1937, est véhiculée par Apodemus sylvaticus et surtout par un autre petit muridé: Micromys minutus soricinus (rat des moissons), dont les urines polluent l’eau des rizières. L’homme se contamine à la faveur de plaies minuscules des mains et des pieds lors du travail en rizière.La leptospirose sejroïque , dont le réservoir des leptospiroses est constitué par divers muridés (Mus spicilegus musculus , Apodemus sylvaticus ), survient sous forme de cas sporadiques dans les régions où le pH, la composition et l’humidité du sol permettent la conservation des leptospires émis par les rongeurs. Les baignades ne jouent guère de rôle dans cette forme. La leptospirose à australis , transmise en France par les rongeurs et les hérissons, fréquente chez le bétail, infecte également l’homme (éleveurs, agriculteurs).D’une façon générale, une centaine de variétés distinctes de leptospires sont connues; leur transmission à l’homme se fait habituellement par l’urine d’un animal, presque toujours un muridé.Traitement et prophylaxieLa pénicilline, le chloramphénicol et la tétracycline sont actifs sur les leptospires, à condition de les administrer très tôt, avant la constitution des lésions d’hépatonéphrite.La prophylaxie individuelle consiste à prendre des mesures d’hygiène stricte sur les lieux de travail (port de gants et de bottes), à lutter contre les rongeurs (dératisation, protection des aliments) et à surveiller les plans d’eau.L’infection par les leptospires confère une immunité solide et durable. La vaccination humaine est particulièrement indiquée dans les régions où la leptospirose constitue un risque pour certains groupes professionnels. Depuis 1974, il existe en France un vaccin monovalent ictero-hemorragiae , utilisé avec succès chez les égoutiers, employés des stations d’épuration des eaux, etc. On a mis au point un vaccin pour le chien, on étudie le cas pour les autres animaux domestiques; mais il convient de distinguer entre protéger un animal contre l’infection clinique et l’empêcher de devenir porteur de germes.
Encyclopédie Universelle. 2012.